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A propos de L'Expétience de l'enfance par Michel Rousselot, 2018

J’aime et je l’ai dit à de nombreuses reprises tout ce qu’écrit Gilles LAFFON. J’aime aussi sa personne. Je ne saurais trop recommander à ceux qui ne l’auraient pas encore vraiment fait, de prendre le temps de lire « La courbe d’un amour sur le satin d’un sein, deux cents soixante cinq notes pour une poétique de l’amour » livre que j’ai eu le plaisir de préfacer. C’est donc une délectation que de retrouver cette fois, dans le livre qu’il vient de faire paraître chez ses compères des éditions Mar-bre, un texte riche et profond et surtout, comme les meilleurs livres, selon moi, qui ouvre sans cesse cent pistes nouvelles sous les yeux.

 

Lorsqu’on commence à lire Gilles LAFFON, c’est immédiat, deux sentiments s’imposent : la surprise et le charme. La surprise, parce que n’importe lequel de la centaine de paragraphes qu’il propose dans ce nouveau volume développe des retours, des reprises, des allusions, des clins d’yeux, et le charme pour ce côté pétillant qui confère au texte un aspect mélodique propre à son écriture.

 

Ce livre,  est jusqu’à un certain point dans la tradition laconique d’un René Char, en ce sens qu’il se présente comme une suite de paragraphes assemblés de souvenirs reconstitués, superposés d’éléments anciens, accessoires ou essentiels.  L’esprit de ces paragraphes n’a rien d’hermétique. Le choix de la forme satisfait, aux préoccupations de l’auteur considérant que souvenir et évidence s’excluent et que le souvenir est une somme d’évidences incohérentes. Si le ton expose à une ouverture infinie, il rejette toute vérité susceptible de faciliter la compréhension de ce que nous croyons devenir.  Les absences, les oublis, les volontés ne sont jamais misent au grand jour parce que les enfants gardent leurs idées sous le coude pour plus tard, pour un jour, p.13, nous dit l’auteur. Il s’agit de relever l’un ou l’autre instant de l’expérience, à la fois intime et fugace, de notre présence au monde.

 

Les volumes de Gilles LAFFON tournent autour d'eux-mêmes dans un mouvement hélicoïdal (qui n’est pas d’ailleurs sans rappeler le Manifeste Circulaire), qui procède en spirale, de l'intérieur vers l'extérieur. Qui lance ses questions comme autant de boomerangs et de reflets. Chaque paragraphe  éclairant un objet projetant dans le même temps son ombre sur le suivant qui, à son tour, appelle un éclairage. Jamais la pensée ne se présente isolée, détachée de l’ensemble. Les paragraphes n’ont jamais de sens au-delà deux-mêmes.

 

À ce jeu d’évocation, Gilles LAFFON n’est pas le moins doué en la matière, et ses paragraphes poétiques sont d’une efficacité remarquable grâce à leur puissance de citer à comparaître tout ce qu’ils se retiennent de dire du monde de l’enfance. Ces miettes rassemblées en texte suivi veulent jouer de la naïveté là où la nostalgie prend sa place déjà exprimée par les rêves, ou la chronologie convenue traite comme important ce qui pourrait être perçu comme désuet.

 

Ne pouvant citer tous ces constats, aphorismes, traits poétiques songeurs, je n’en citerai que quelques uns abordant les thèmes de la lecture, du bonheur, de la mémoire et du souvenir, de l’adulte, etc :

 

L’enfant est un écho qui saute aux yeux, p. 11

La mémoire est une aire de jeu mal définie qui sépare le réel de l’irréel, p. 11

 

Les enfants sont des rumeurs, p. 16

Seuls les mots changent pas les hommes, p. 23

 

L’enfance est à chaque seconde une conquête sur le mot rêve, p. 25

 

L’enfance est une expérience repensée du mot souvenir, p. 25

 

l’adulte, aux yeux de l’enfant, doit être repensé, p. 36

 

L’enfant reste la part restreinte de l’adulte, 

p. 52

 

Un enfant c’est un adulte romancé, p. 52

 

D’enfant à adulte, on développe une seconde nature, p. 54

 

Il n’y a d’avenir chez l’adulte que dans l’idée qu’il se fait de son enfance, p. 56

 

L’âge heureux c’est avant ce que les adultes appellent le bonheur, p. 60

 

L’enfance est la mauvaise foi du rire de l’adulte, p. 62

 

L’enfant grandi pour être aimé. Il est plus ou moins aimé. C’est cette distance qui constitue l’expérience de l’enfance, p. 66

 

L’enfant est au féminin ce que les parents sont au masculin, p. 66

 

L’enfant n’est que parole en l’air, p. 68

En lisant, l’enfant se découvre lui-même, mais ne se débarrasse pas de lui-même, p. 70

 

Dès fois l’enfant s’exprime en son nom personnel, p. 76

 

L’enfant c’est des bouts de mère. Une mère c’est un puzzle d’enfants, p. 78

 

L’enfant voit l’illimité, découvre l’interminable, p. 81

 

Il y a des solitudes de toutes les couleurs chez l’enfant, p. 82

 

Si l’expérience introduit l’aventure elle le fait de manière familière et coutumière

L’expérience est du coutumier mêlée à de l’extraordinaire, p. 88

 

Le bonheur de l’enfant à la vie dure, p. 104

 

Le livre  peut être inépuisablement lu et relu, (c’est un trait littéraire chez Laffon depuis Les Solitaires du troupeau) en y cueillant une ou l’autre expression au hasard : aucune n’étant indifférente, toutes donnant à méditer, songer, rêver ; toutes dévoilant notre relation aux choses merveilleuses ou tristes qui composent cette ardeur à vivre. L’exercice de nostalgie s’adresse à la fois à ce qui est peut-être, et discrètement, un puzzle autobiographique : son enfance, les repas pris, les devoirs et les leçons, les odeurs humées, les dizaines de souvenirs à la merci de l’inaccompli, ou plutôt de l’inachevé. L’enfance utilisée sous la forme adulte se noie dans la mémoire pour ressortir en cours de route sous la forme de bribes sensibles

 

La simplicité du ton, crée un décalage très vivifiant dans l’écriture ciselée qui nous permet d’atteindre la profondeur de la réflexion. Jamais les textes de Gilles LAFFON ne se haussent du col. Ils naissent d’une émotion ou sensation simple, d’un souvenir ou d’une pensée dont ils entendent éclaircir le sens et fixer la trace. De sorte qu’une mélancolie tendre, et volontiers narquoise, est toujours préférée au tragique pour mettre en scène le temps de l’enfance. Réflexions sur l'existence qui s'appuient sur une conscience lucide et sur l’imagination pour mieux les remettre en question.  Ce qu'il faut bien appeler une expérience de lecture.

 

Gilles LAFFON a le goût du temps et de ses méandres, il marche lentement dans son écriture. A l’écart du bruit,  il cherche une vérité. Il fouille tel l’archéologue pour n’énoncer que des aboutissements, ou des conclusions, en s’épargnant de lourdes démonstrations. Ce livre, au lieu d’être le premier pas d’un discours sur l’enfance, est le premier geste d’une expérience commune. Il va longtemps parcourir quelque endroit de notre tête  aux frontières du souvenir, du temps et les flottements de ce que nous sommes devenus.

 

Michel Rousselot

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