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Gilles LAFFON
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Acerca de
Avant-Propos des éditeurs (1), 2019.
Derrière ce titre « L’écrire », objet d’une commande de l’Unité de Littérature Appliquée Franco-phone, se trouve le monde que nous qualifions de réalité et qui semble être pour l’auteur un état d'endormis-sement. Les faits anodins y alimentent le cours, non pas seulement du quotidien relaté « On remet en scène des choses matérielles dites qu’on retrouve nouvelles à chaque fois »(2), mais le cours de la pensée et ses points de fuite comme des sillons.
« L’ écrire » serait donc un désir d’unification de la vie face au morcellement des parcelles, l’inspiration linéaire des sillons. Le quotidien si on veut l’appeler ainsi, est ici pensé, vide mais occupé, éveillé mais transparent, sans limite mais borné et sans âge, retiré dans une campagne ou l’isolement et l’écart se confondent (CONTEXTE). Il demande à l’écriture de l’habiter, elle seule fait une existence « l’état de santé difficile à vivre, l’émotion difficile à se vivre, le vouloir un prétexte pour vivre, l’indécision et la volonté comme perception matérielle, la résignation un prétexte pour écrire, la stagnation pour écrire le reflet du monde et non sa représentation ». Résolument, le narrateur, appelons-le ainsi, est entraîné dans ce que l’on peut nommer un projet, espérant la satisfaction de son souhait. Ce désir le projette vers l'avenir (PRETEXTE), vers la réalisation d'un but plus ou moins lointain ; une manière de lutter contre la disparition de son être, l’effacement de son MOI (il écrit au crayon, or ces traces s’effacent facilement). Ce MOI qui s’esquisse ou s’esquive dans le cahier évoqué comme support à l’écriture, qui évince le ON, bien loin du ON de Brichot évoqué par Michel Butor en référence à Roland Barthes.
L’effacement du verbe est une composition abstraite qui se propose de décortiquer le verbe en tant que partie principale du discours de toute langue mais aussi d’offrir tout simplement une analyse de l’être (TEXTE). L’être comme un fait, un acte, un choix ou au contraire comme un rassemblement de parcelles, qui composent l’existence, la vie, ce qu’elle est au quotidien ou devient de jour en jour. L’être comme un statut instable dont il nous faut prendre conscience parce que justement nous nous cultivons, récoltons et nous décomposons. Par « effacement », nous pouvons comprendre destruction d’existence, car nous lisons bien au travers de ces lignes qu’une mutation est en train de se produire, un voyage de soi d’un état à un autre. La suppression plus ou moins arbitraire de la ponctuation dans la partie TEXTE renforce cette mutation ; le texte est avant tout poésie.
L’événement d’un chapardage prémédité, d’un détournement de sac de graines, banal en soi, a des effets conséquents, dévoilant l’isolement, l’aliénation au travail, voire l’humiliation, la solitude, le vide exis-tentiel, supporté. La vie n’est lumineuse que dans ses instants d’écriture nocturne. Effectivement, la nuit est l’ombre qui succède au corps fatigué, usé et réel du jour, de la blancheur de la page. L’ombre qui mesure le temps, lui cherchant une limite, qui célèbre le vide, le silence, l’absence « On écrit alors son existence jusqu’à douter de l’écrit qui l’éclaire à l’approche du jour, une réalité d’emprunt à la lumière rendue ». L’ombre qui menace ou masque le sac (le sac, à n’en pas douter est la métaphore de la vie). A l’inverse la lumière chaude s’invite presque partout même si elle éclaire le noir. Le sens ne sert pas forcément la signification concrète et directe, c’est une invite. Le narrateur ne cherche pas à refaire le chemin vers son histoire, vers soi-même, la capture de la vie agricole évince tout sentiment authen-tique, la réalité s’avère dure, le rêve inutile ou à peine osé, celui-ci n’est même pas recherché. Nous lisons ici une solitude, puis sans rien faire d'autre, nous nous maintenons dans cette présence. Cette solitude prend le monde tel qu'il est, sans vouloir l'expliquer par une cause ou une fin. Nous lisons ce monde comme n'ayant ni cause explicative, ni fin, ni modèle, ni fond caché « On se lève pour ce vide, non pour le combler ou l’accentuer, le remplir, ajouter du vide au vide, de l’ombre à l’ombre, des lettres au corps, des marques à la pensée, des sillons aux champs. On remue dans ce vide et ce qu’il y a autour. Cette union engendre des moments lisibles capables de créer l’existence et de prendre ce qui passe pour ce qui dure ». Ce vide est si voyant qu'il faut l'homme pour ne pas le voir. Car l'homme ne voit que l'homme, ici les autres ouvriers. Le vide, se trouve partout au-dessus des épaules, des champs aux bois que vient remplir le travail. Le « sac » étant en quelque sorte une chose à quoi se raccrocher, s’appuyer, baser son être, son existence. L’écriture ne montre rien d'autre que cette absence d'identité, l'absence de traces sinon celle des sillons, et l'espace sous lumières et ombres. La vie passée ou présente est sans racine, instantanée. Elle consiste à demeurer telle quelle, sous la contrainte du labeur et du devoir, à saisir le temps dans toute sa simplicité immédiate, (présent, imparfait, futur des trois parties).
La tentative du vol et ses conséquences imaginées, ce sentiment de faute convoque la morale, « La faute nous place devant l’immensité », c’est-à-dire ce qui est infiniment plus vaste que cette étroite image que l’humain tente de défendre jour après jour. Le paradoxe c’est que l’enfermement du livre trouve une liberté plus vaste que le moi, plus large. Il trouve un espace que les pensées ne limitent plus, un espace sans aucune étiquette : ni nom, ni âge, ni nationalité, ni croyance « Devant nous il n’y a rien entre le sol et le ciel, plus de terre, de repères, de sens dans le vague ciel, ni centre. Aucune morale n’est supposée ». On y progresse par inspirations. D’un mot à un autre, on respire, ou au contraire on retient son souffle « A cette heure, la main vaut plus que la pensée ». Dans l’entre deux se loge le langage de Gilles Laffon, un ton poétique manifeste qui donne un pouvoir de suggestion sans limite au texte. Nous retiendrons trois sentences à méditer : « Notre histoire n’est pas aussi propre que l’infini » - « Le travail rend muet le courage » - « Le futur repose la volonté » dans lesquelles l’étudiant puisera à sa guise l'intelligence nue.
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(1) Extrait d’une communication sur le livre dispersé à paraître
(2) Toutes les citations sont extraites de « L’Ecrire »