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Gilles LAFFON
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A propos D'un cœur froid par Michelle Benel - février 2022 -
Il y a dans bon nombre de récits initiatiques matière à mettre en évidence l’analyse des structures inconscientes sur lesquelles ils s’articulent. En règle générale ils montrent inlassablement l’homme face à sa condition terrestre qui aspire à se réaliser lui-même. L’homme reste sur terre, à la recherche de soi dans le réel, la pensée, ou dans les aspects d’un lieu qui tente d’évoquer ce qu’il put être ; les expériences du passé servant à éclairer les destins humains qui hantent l’être pensant (ici, la référence aux amanites et aux constructions humaines, mine et usine). Ainsi celui qui se cherche descend au profond de son double dans l’abîme, à la recherche d’un passage comme signification de son existence. Cette approche est le geste même de l’initiation. Elle est semblable à ces lieux retirés, grottes, souterrains, qui sont l’image des enfers où se retirait le futur initié conduit par l’initiateur ; l’initiateur ici, emploie le pronom personnel « tu ». Il faut imaginer cette présence insaisissable ayant pour but de provoquer un appel et une attirance vers elle jusqu’au moment muri ou le corps est apte à s'ouvrir aux autres.
On trouve dans ce texte des aspects parfaitement maitrisés de la poésie hermétique. C’est à travers les ruines d’un hameau (un état psychologique à reconstruire, des agrégats psychiques anciens), où les maisons (corps physique) sont détruites ou absentes, sans toit (mental), aboutissant à des trous (une baisse de la force morale ou spi-rituelle), des tunnels (symbole de période de solitude, d’obscurité), des cavernes (antre du mental), souvent des labyrinthes (allusion à un état de con-fusion dans le mental) que l’être (l’aigle), dans un état de conscience endormie (brouillard), cherche son chemin (toile d’araignée). Il entendra le verbe (cloche) dans l’obscurité de la conscience (forêt). Il atteindra par l’escalade (le chemin initiatique) la haute montagne (symbole de cette initiation) sou-vent sous la pluie (la purification nécessaire) qui des fois ne mouille pas, comme si le narrateur en était protégé et qui parfois n’est que boue. D’ailleurs l’eau (l’inconscient) est présente tout au long du récit. On parle d’habits nettoyés à l’eau de la rivière (régénération) et difficilement mis à sécher (un passif en train de se régler). Mais c’est la référence à l’enfant, revenant à dix reprises, qui nous guide ; un dialogue avec l’enfant intérieur, la partie spirituelle liée au rituel de passage, au comportement social, collectif, répétitif. Le narrateur prend soin de cet enfant multiple. Il offre du lait, un mouton (qui symbolise l’âme), il le rend aux parents en opposition à l’ogre, etc.
Ainsi la lumière et les ténèbres jouent-ils un rôle important. En effet, le narrateur reste dans le noir ou il est plongé dans l’ombre ; nous sont décrits également les passages successifs de l’ombre à la lumière, les niveaux internes ou psychiques : cave, grenier, sous-sol... ; de même voyons-nous la nécessité de rendre manifeste le feu, cette lumière métaphore de l’âme. Les oppositions sont en action : la faux qui frappe les lèvres (la mort ou les mots) et le bâton qui frappe l’herbe (pouvoir). La hache des bucherons (destruction de l’égo) et la lune souvent évoquée (domination de l’égo)…
L’esprit, d’ordinaire apte à se dégager ne peut ici abandonner le corps. Il est constamment perméable à ce qui l’entoure, se fait un parement de la nature (inutile de porter des vêtements). Le rapport de l’auteur à la nature est solitaire ; elle est sa fuite, son confort rassurant entre doute et refuge. Ce que l’on lit de la nature est alors la surface externe de la substance brassée.
L’expérience de ses propres limites (gorges, crêtes, arrêtes, murets) délimite deux mondes bien distincts : la terre et un « au-delà ». Faire voler le rapace (dans les gorges), suivant l’expression hermétique, c’est faire briller la lumière en la découvrant de son enveloppe obscure et en la portant à la surface. La finalité hermétique consiste essentiellement à reconnaître cette part de lumière en chacun, tandis que l’on tente de quitter la partie matérielle, le corps issu des ténèbres qui emprisonne cette lumière. Le texte œuvre à cette lente tentative de métamorphose où le changement est précisé dans l’espace (dehors, dedans, bas, haut) mais aussi dans la durée par les saisons évoquées (neige, pluie, soleil). Cette mutation est égale-ment sensible au niveau des sons (le sifflement, le chuchotement, crissement) et l’impuissance à être entendu.
Est-ce la seule grille de lecture ? la purification de l’écrivain, ne se passe-t-elle pas unique-ment au niveau de l’écriture, comme si le narrateur mettait en scène l’esprit temporairement gêné par son corps physique ? De par la forme poétique choisie, l’atmosphère épaissie se fluidifie, au fur et à mesure que le récit se déroule. Au niveau du sens de la phrase, il semble que l’auteur endure cet état, non par des choix, des arguments, mais par un commandement, celle d’une voix, ou un chuchote-ment, un souffle même comme il en existe dans les galeries souterraines. Le rythme haché, fracturé de la phrase, illustre le jeu du souffle comme celui du vent. Un souffle, au sens biblique, un démiurge, qui façonne l'homme et qui tient les fils de son présent et de son futur.
Dans son mystère poétique, ce texte opère une action véritable sur nos sens, sur nos sentiments ; il existe derrière les mots, les lieux, les actions aussi minimes soient-elles. Le propos se veut modeste avec le minimum de qualificatif, de jugement, de sentiment exprimé. Choisir la poésie comme chemin vers soi-même est un moyen de franchir l’opacité du monde terrestre, une certaine épaisseur à traverser.
Dans cet autre monde, qui n’est pas qu’affaire d’initié, Gilles Laffon rend tous les mirages d’une réflexion attentive bien plus proche de la rêverie sensible d’un poète que d’une simple recherche d’humain.
Paris -février 2022 -
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