top of page

A propos de A PEINE LE CIEL octobre 2023

… Le thème principal de ce livre singulier est l'expression d'une présence au quotidien dans un endroit écarté, montagneux, perçu austère. Cette présence de pleine nature, d’isolement et de fausse rudesse, inspire une prose du sensible, de l’élémentaire entre gel, dégel et soleil. La présence du narrateur dans cet endroit choisi est la métaphore de la Voie du Tao. L’influence de la poésie chinoise s’y exprime, notamment dans la citation de LI BAY, quand l’auteur rend compte de perception toute simple, saisie dans un esprit non éloigné des haïkus. Seul, le narrateur, qui refuse tout contact autre que celles des ombres, souhaite s’élancer, bondir dans l’espace, comme pour tenter de franchir un obstacle invisible. Il parle de lui-même, de sa demeure, de son état d’esprit sans évoquer le « moi ». Le paysage extérieur est également le paysage intérieur et l’effacement du soi exprimé au début de chaque paragraphe à l’infinitif. Le parti-pris de ce choix illustre bien l'idée de l'action et de l'état, sans indication de personne ni aucun temps précis. Le propos se construit donc d'une façon abstraite et indéterminée.

                 Nous lisons un monologue, ou la parole avoisine une certaine psychologie des profondeurs, et peut-être même une certaine métaphysique, habillée de notes temporelles qui pourraient se lire comme biographiques. Cependant, quand l’écriture se regarde écrire, de paragraphes en pages, il faut bien une voix pour la guider, et une main pour guider cette voix, une main qui l’écrit. Ainsi, le narrateur éprouve-t-il la présence qui l’accompagne. Peu à peu, cette présence devient une image qui lui ressemble, qui le soutient et qu’il tente de rejoindre par-delà les sommets les plus hauts. Il s’agit d’une figure de l'écriture, de la solitude qui cherche son cheminement dans l'univers, qui pose les repères d'un monde sans noms, sans identités, un monde de gestes, de sens, d'orientation et d'élans. Il s’agit là d’une « mystique sans Dieu », chère à Joe Bousquet, au plus près des doutes qui la traversent et de cette question de savoir vers quoi (qui) l’élan se trouve lancé ? L’on devine alors qu’il s’agit d’un bond initiatique - non sans rappeler le précédent ouvrage de Gilles Laffon,  D’un cœur froid - l’histoire d’un saut, d’un torrent de vie ouvrant sur un infini opposé au vide où il se voit, où il se croit, dont il veut sortir. La lecture s’achève sur une chute supposée qui dit notre incapacité à penser « l’illimité » (cimetière, ensevelissement, tombes). Le corps, n’est-il pas ce qui confronte la parole à la finitude, au temps, aux aléas et à la mort, à notre destin ultime ? La poésie n'est rien d'autre que le moment où cette question se pose.

               L’écriture est ici une écriture poétique avant tout. En effet, comment rester insensible au rythme enveloppant, à l’atmosphère générale, à la douceur qui émane de ces pages ? Ses qualités sont une fausse limpidité pour une approche de l’ordinaire, sans fioritures inutiles, ni d’états d’âme aux qualificatifs pompeux, vus et relus. Le monde vécu est à portée de main, de raisonnement et bien souvent à portée de rêve. Aussi, si de la part de l’auteur, nous ne nous attendons plus à une prosodie régulière, nous trouvons ici un gisement issu du ciel et des éclairs issus de la terre, sa propre volonté essayant de dire en quelques mots la présence, l'absence, l'attente. Tout comme le titre : À peine le ciel, d’une délicate richesse comme chuchotée à l’oreille du lecteur, il s’agit sans doute de l’indication de la présence d’un lumineux trésor. Ce texte, avec force et assurance, forme l'impalpable matière de la rêverie entre la profondeur de la solitude et la tentative de l’élévation…                                      

                                                                                                                                                                           N. Vuillemin (ULAF, 2023)

bottom of page